Faire du bruit à table, impoli ? Pas partout ! Voici les pays où c’est au contraire une preuve de plaisir
Vous aspirez une nouille un peu trop fort, et tout le monde se retourne. Vous trempez votre cuillère dans le bouillon, vous laissez échapper un petit bruit de satisfaction, et aussitôt la voix de votre mère résonne dans votre tête :
“Voyons, ne fais pas de bruit, c’est malpoli!”
En France comme dans la plupart des pays occidentaux, on a grandi avec cette idée bien ancrée: le bon mangeur est discret. À table, pas de “slurp”, pas de “crunch” trop enthousiaste, et surtout pas de soupe avalée à pleines gorgées. Manger en silence, c’est une preuve d’éducation. Et pourtant… ailleurs, ce serait tout le contraire!
Dans certains pays, faire du bruit en mangeant est une marque de plaisir, voire de respect. Une manière de dire “merci, c’est délicieux” sans prononcer un mot. De quoi faire réfléchir sur nos propres codes à table!
Japon
S’il existe un pays où le bruit du repas est non seulement toléré, mais valorisé, c’est bien le Japon. Là-bas, avaler ses nouilles en les aspirant bruyamment n’est pas un manque de politesse, mais une preuve d’enthousiasme.
Dans les ramen-ya (restaurants de ramen), l’ambiance sonore est un mélange rythmé de “slurps” et de “ahhh” de satisfaction. On aspire les nouilles, on souffle sur le bouillon brûlant, on hoche la tête d’un air convaincu : tout cela fait partie du rituel.
Ce bruit n’est pas qu’un symbole de plaisir : il a une fonction pratique. En aspirant de l’air en même temps que les nouilles, on les refroidit légèrement, et on perçoit mieux les arômes du bouillon.
Un Japonais qui mange ses ramen sans bruit ? Ce serait presque suspect. Comme s’il n’aimait pas vraiment ce qu’il mange. Et dans un pays où le repas est une forme d’hommage à celui qui cuisine, ce silence-là serait plus gênant qu’un joyeux concert de nouilles!
Chine
En Chine aussi, le repas est un moment vivant, collectif, sonore. Le bruit du thé qu’on verse, les baguettes qui s’entrechoquent, les cuillères dans la soupe… Tout cela fait partie de la musique du repas.
Faire un peu de bruit en mangeant, c’est participer à la convivialité, pas la déranger. Un repas trop silencieux serait presque inconfortable. Dans la culture chinoise, la nourriture est un lien social : on partage, on commente, on invite à se resservir, on rit fort.
Et si quelqu’un boit sa soupe en silence, il peut passer pour distant ou mal à l’aise.
D’ailleurs, dans certaines régions, finir son bol jusqu’à la dernière goutte en aspirant est une manière de dire que le plat était bon. Rien d’impoli là-dedans — au contraire, c’est une marque d’appréciation sincère.
Inde
En Inde, la nourriture est un acte sensoriel total. On mange avec les doigts, on sent, on goûte, on touche. Le bruit du repas, le cliquetis du métal, le mélange du riz et du curry entre les doigts… tout cela raconte quelque chose.
Ici, on ne sépare pas le corps du plaisir de manger. Le geste et le son font partie du rituel. Sur la table, les plats sont souvent servis dans des assiettes en inox, les thalis, qui résonnent légèrement à chaque coup de cuillère. Ce tintement fait partie du repas, au même titre que les épices ou les couleurs.
Et même le thé a son petit théâtre : le fameux chai, servi brûlant dans des gobelets en terre cuite. Une fois la boisson terminée, le pot est brisé au sol – un geste sonore, symbolique et presque poétique. Un bruit qui marque la fin du moment, avant de retourner à la vie quotidienne.
Pays arabes
Dans de nombreux pays arabes, le repas est une véritable célébration. On parle, on rit, on discute fort, on invite à se resservir, on complimente la cuisinière à voix haute.
Un silence prolongé à table serait presque malvenu. Manger ensemble, c’est partager la générosité, et cette abondance s’exprime naturellement par le bruit, les conversations et les exclamations enthousiastes.
Le repas n’est pas seulement une nécessité : c’est un moment d’échange. Et le son du repas, cette “agitation joyeuse”, est un signe de convivialité. Le silence, ici, serait synonyme de distance, voire de tristesse.
Et l’Occident dans tout ça?
Chez nous, en Europe, le silence à table s’est longtemps confondu avec l’élégance.
Depuis le XIXe siècle, les manuels de bonnes manières répètent qu’un bon convive doit “manger proprement et sans bruit”. Les repas aristocratiques imposaient la discrétion : pas de mastication audible, pas de gorgées trop appuyées, et surtout pas de bruit de lèvres.
Résultat : le bruit, chez nous, évoque le manque d’éducation. On valorise la retenue, la discrétion, la maîtrise du geste. Mais cette règle, très ancrée, n’est pas universelle. Ailleurs, le bruit exprime le plaisir et la gratitude — tandis qu’ici, on valorise la mesure et la bienséance.
Le son de la table, un langage culturel
Finalement, le son de la nourriture, c’est un langage invisible.
Là où certains entendent du manque de savoir-vivre, d’autres perçoivent de la reconnaissance.
Aspirer une nouille au Japon, boire bruyamment un thé en Inde ou rire autour d’un couscous au Maroc… c’est une autre manière de dire : “J’apprécie ce moment.”
Alors, la prochaine fois qu’un ami japonais fait “slurp” à côté de vous, ne le jugez pas. Il est simplement en train de dire, à sa façon, que le repas est réussi.
Patricia González
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